Retour sur les premières Rencontres Territoires organisées par l’équipe Ados-Jeunesse Léo Lagrange Animation, le 1er avril dernier à Saint-Pierre-de-Chandieu (69) ! Une journée inédite, mêlant réflexions théoriques et échanges de terrain, qui a rassemblé une cinquantaine de professionnel·les, sur place et en virtuel ! L’objectif pour le réseau Ados-Jeunesse : partager des constats, des pratiques et des réflexions autour d’une thématique territorialisée. Pour cette première édition, une thématique prégnante et pourtant souvent invisibilisée : l’accompagnement des jeunes en milieu rural.
Une jeunesse en quête de sens et de reconnaissance
La matinée s’est ouverte par un webinaire réunissant deux sociologues : Clément Reversé, maître de conférences à l’Université Toulouse (31) Jean Jaurès, et Jérôme Camus, maître de conférences à l’Université de Tours (37).
Clément Reversé, spécialiste des jeunesses rurales, est venu déconstruire certains stéréotypes accolés à ces jeunesses. Par exemple, si l’accès à l’emploi peut sembler plus rapide en milieu rural, cette apparente insertion masque une réalité tenace : la précarité durable. Désireux·ses de se rendre indépendant·es (et mobiles) au plus vite, les jeunes ruraux cumulent souvent de petits boulots mal rémunérés, sans réelle perspective d’avenir, alimentant absentéisme scolaire et stigmatisations sociales. À cela s’ajoutent des formes d’isolement, un contrôle social fort, et des freins invisibles liés à la mobilité ou au manque d’espaces d’écoute.
Clément Reversé alerte sur la grande vulnérabilité de certains publics : « On a des jeunes très stigmatisés, qui ne vont pas bien. Dans mon échantillon, un jeune sur dix a fait une tentative de suicide. Public très vulnérable et invisibilisé : c’est un mix très dangereux. » Il nuance malgré tout : « Leur quotidien n’est pas que souffrance. Il y a aussi de l’amour, des couples, des naissances… Mais dans des conditions où personne ne peut faire les bons choix. »
Son analyse souligne aussi la nécessité de penser la jeunesse au-delà de l’âge, comme un état de transition marqué par la quête d’autonomie et de sens. Loin d’être simplement « en échec », ces jeunes cherchent souvent à retrouver une dignité par des stratégies d’évitement (retrait, travail précoce, parfois prostitution ou conduites addictives), dans des contextes qui rendent difficiles des choix réellement émancipateurs.
Animation jeunesse en milieu rural : quels publics, quels rôles, quelles postures ?
Jérôme Camus, sociologue spécialiste du travail social, de l’animation jeunesse ou encore de la parentalité, est venu échanger avec les professionnel·les participant·es au webinaire sur la base de ses travaux.
Retrouvez la dernière publication de Jérôme Camus sur le site de l’INJEP
Il a prolongé la réflexion en s’intéressant aux postures professionnelles des animateur·rices jeunesse dans les territoires ruraux, identifiant trois postures d’animation complémentaires :
- L’animateur.rice par les valeurs : qui porte un projet éducatif ou citoyen à long terme
- L’animateur.rice par les activités : centré.e sur l’organisation d’actions concrètes et visibles
- L’animateur.rice par la relation, qui construit des liens de confiance durables avec les jeunes.
« Ces postures ne sont pas exclusives. L’important, c’est de pouvoir en changer selon les publics, les moments, les besoins » souligne Jérôme Camus. Aussi, cette catégorisation révèle les tensions auxquelles sont confrontés les professionnel.les de jeunesse : attentes multiples, polyvalence, contrainte, solitude…
Les animateur·rices sont à l’interface entre les institutions, les jeunes et leurs familles. Dans les zones rurales, où les interactions sociales sont plus visibles et parfois plus pesantes, les jeunes peuvent être à la fois très surveillés et paradoxalement peu accompagnés dans leurs trajectoires personnelles. Les professionnel·les ont alors un rôle d’interface délicat : faire lien sans trahir, écouter sans imposer, accompagner sans surprotéger. Il s’agit donc moins de « résoudre » les problèmes que de créer des espaces où les jeunes peuvent exister, dire, et construire.
Ateliers d’échange de pratiques
L’après-midi a été consacrée à des ateliers participatifs, réunissant les professionnel·les présent·es à Saint-Pierre-de-Chandieu. Ces temps d’échange ont permis de confronter les analyses du matin à la réalité quotidienne des participant·es, et de dégager des pistes d’action concrètes.
Les échanges ont permis une première cartographie des structures représentées, avec un regard sur leur implantation, les publics accueillis et les réalités du terrain. Les participant·es ont partagé des réussites et des difficultés, allant du manque de mobilité aux faibles partenariats, en passant par les représentations parfois négatives des jeunes en milieu rural.
Un apport marquant est venu d’une enquête menée auprès de 150 jeunes : beaucoup d’entre eux se disent mobiles dans leur village, mais rencontrent des difficultés au moment de leur entrée au lycée. Jérôme Camus a souligné que la notion de « mobilité » est souvent envisagée depuis les structures, sans toujours refléter le vécu réel des jeunes.
Les ateliers ont ensuite approfondi plusieurs enjeux : mobilisation des jeunes, accompagnement face à l’isolement ou à la santé mentale, posture éducative… Des pistes concrètes ont émergé : temps long, créativité, ancrage local, confiance avec les familles.
En décembre, le réseau Ados-Jeunesse de Léo Lagrange Animation se retrouvera à nouveau pour une Rencontre Territoire, cette fois organisée à Marseille, autour de la thématique des Quartiers Prioritaires de la Ville. Une nouvelle occasion pour nos professionnel·les de monter en compétences, d’échanger sur leurs pratiques et d’alimenter nos savoir-faire collectifs !