Le 28 novembre dernier, la Fédération Léo Lagrange a organisé le deuxième webinaire du cycle de conversations démocratiques destiné à nourrir la rédaction du futur projet éducatif. Après une première rencontre consacrée à la parentalité, cette nouvelle séance s’est intéressée à un sujet qui traverse tous les métiers éducatifs : l’autorité éducative.
En introduction, Corinne Bord, première vice-présidente, a rappelé l’enjeu de ce nouveau rendez-vous virtuel : « On entend souvent que les jeunes ne respectent plus rien. Mais c’est quoi, exactement, l’autorité ? Et comment construire un rapport à l’autorité qui soit respectueux, inspirant, et qui permette de grandir ? »
Pour apporter des réponses à ces questions, la Fédération accueillait Bruno Robbès, enseignant-chercheur en sciences de l’éducation à l’université de Cergy-Pontoise, militant de l’éducation nouvelle et spécialiste reconnu de l’autorité éducative.
Déconstruire le mythe de l’autorité naturelle ou « autorité charismatique »
Dès le début de son intervention, Bruno Robbès a posé un cadre clair : « La notion d’autorité a largement été déformée par les discours contemporains. On doit se réapproprier cette notion, nous les éducateurs progressistes. Ne pas la laisser aux milieux conservateurs qui en parlent très fort… mais sans dire de quoi il s’agit vraiment. »
Cette démystification passe par un regard critique sur un prétendu « âge d’or » où l’autorité du maître sur l’élève aurait été naturelle. Aux XIXe et XXe siècles, l’école n’accueillait pas encore tous les enfants, les élèves en difficulté en étaient très vite exclus et les inégalités sociales étaient très accentuées. L’idée d’une autorité d’antan “respectée” repose donc sur un biais : l’institution ne confrontait pas les éducateurs à la diversité réelle d’aujourd’hui.
Autre confusion analysée : celle entre autorité et domination. Comme le rappelle Bruno Robbès en s’appuyant sur Hannah Arendt :
« L’autorité est une influence qui s’exerce sans recourir à la force. Là où la force commence, l’autorité a déjà échoué. »
Notre intervenant nomme “autorité autoritariste” pour qualifier « le détenteur d’une fonction statutaire, d’une position institutionnelle, exerce une domination sur l’autre afin d’obtenir de lui une obéissance inconditionnelle, sous la forme d’une soumission’’ On doit obéir à l’adulte sans discuter, et on crée un rapport de domination, une logique d’emprise, un rapport de force. » Elle est un « abus de pouvoir », alors que l’autorité ne se confond pas avec le pouvoir, comme l’explique Arendt.
Quand l’autorité disparaît : refus du conflit, enfant-roi et influence numérique
À l’inverse de la domination, Bruno Robbès décrit une seconde dérive, qu’il appelle « l’autorité évacuée ou refusée ». Elle s’exprime parfois chez des adultes qui ne parviennent plus à poser un cadre, « parce qu’ils ont peur de ne plus être aimés, ou parce qu’ils considèrent qu’ils n’ont pas à prendre part à leur éducation. »
Cela peut mener à l’inversion des places dans la famille ou dans les structures éducatives :
« Des pédopsychiatres ont parlé de l’enfant-roi, voire de l’enfant-chef de famille. Les jeunes se retrouvent à devoir chercher seuls leurs propres limites, parfois au risque de s’assujettir à des influences bien plus fortes que l’autorité absente. »
Comme référence à ces influences parfois nouvelles auxquelles sont exposés les jeunes et enfants manquant d’un cadre éducatif équilibré et bien fondé, Bruno Robbès mentionne les travaux de Bernard Stiegler, sur ce que ce dernier appelle le capitalisme compulsionnel (ou la tendance addictive à consommer) : « Les multinationales captent l’attention des jeunes en permanence. Elles excitent leurs pulsions immédiates et les placent dans des comportements de passivité et d’absence d’effort : c’est en décalage avec toute la base de l’action éducative. Notre rôle d’éducateur, c’est d’apprendre à différer, réfléchir, se projeter. »
« Les éducateurs se retrouvent dans une situation de concurrence déloyale face à ces autres acteurs, qui ont des modèles d’identification puissants, et des moyens d’influence considérables et illimités. »
Cette “concurrence déloyale” place les éducateurs dans une situation complexe, tout en laissant certains jeunes sans repères, sans limites, et donc en danger.
Construire une autorité éducative qui émancipe
Face à ces deux impasses – domination ou évacuation – Bruno Robbès propose une troisième voie : l’autorité éducative. Son principe central : une autorité qui repose sur le consentement, pas sur la soumission.
« Celui qui exerce son autorité cherche à influencer l’autre, mais cette influence tient au fait que l’autre consent à obéir. Le registre de l’autorité éducative, c’est le consentement. Pas la contrainte. […]. La relation d’autorité éducative a pour finalité que celui sur lequel elle s’exerce s’autorise à exister comme quelqu’un toujours davantage auteur de lui-même, maître de sa vie, de sa relation avec les autres, quelqu’un d’émancipé. »
Il rappelle aussi que l’autorité n’existe jamais seule :
- Elle est statutaire (ex : la place d’adulte) ;
- Elle est personnelle (la confiance en soi, l’exemplarité) ;
- Elle est relationnelle (elle se construit avec l’autre) ;
- Et elle est compétente (elle se voit “en action”, par les faits).
La communication joue un rôle clé : le non-verbal, la cohérence entre le fond et le ton, la capacité à expliquer, à soutenir le conflit sans s’y perdre. Et cela depuis toujours ! Des recherches menées par des paléontologues montrent une nécessité de la relation d’autorité éducative dans la pratique de la chasse, comme l’explique le sociologue Marcelli à partir des études menées par De Lumney (1998) : « Compte tenu de la vulnérabilité individuelle, dans la chasse, la dépendance au groupe devait être maximale et la réussite de l’entreprise comme la survie de chacun dépendait de la stricte obéissance aux règles établies. » Robbès y voit une prolongation de la théorie de Darwin sur l’évolution, mais cette fois sous des traits psychosociaux et non physiques : de l’obéissance dépend la survie de l’espèce.
Vers une coéducation du cadre : tenir ensemble pour libérer les possibles
« L’autorité ne se délègue pas, mais elle se construit dans les façons d’agir. Et elle se reconstruit chaque jour. » explique Bruno Robbès, mais une préoccupation persiste : comment exercer une autorité cohérente quand tant d’acteurs (parents, professeur·es, institutions, paires…) interviennent auprès des jeunes ?
Pour notre intervenant, la réponse tient en un mot : la cohérence éducative. « Je crois beaucoup aux initiatives locales : comment les gens peuvent, chacun en exerçant son autorité là où il est, et en s’accordant ensemble sur un certain nombre de fonctionnements communs, peuvent exercer une autorité où la façon de faire de l’un vient conforter celle de l’autre. Je pense qu’il n’y a pas d’autorité partagée par contre il y a des façons dont chacun exerce son autorité là où il est. »
Cette réflexion rejoint directement les travaux engagés autour du futur projet éducatif : penser un cadre qui protège, qui structure, et qui permette à chacun de devenir auteur de sa vie.
En conclusion, Bruno Robbès a laissé une note d’optimisme : « Il n’y a pas de recette mais il y a des principes qui guident l’action. Ensuite, il faut pouvoir les partager avec d’autres acteurs sociaux, et avec les jeunes bien sûr. »
Une belle manière de conclure ce temps d’échange enrichi des témoignages et questionnements des participant·es au webinaire : ce mot de la fin ouvre la voie à de nouvelles réflexion sur comment faire vivre une « pédagogie de la coéducation » comme le souligne Benjamin Mauduit, responsable du plaidoyer et des relations extérieures qui animait le webinaire !
Ce webinaire est disponible au replay dans son intégralité et en illimité sur Viméo : https://vimeo.com/1141998966?fl=ml&fe=ec
Revivez le précédent webinaire « Parentalité : quand éducation populaire et psychologie créative se rencontrent » ici !




