Le monde associatif traverse une crise sans précédent. Pour beaucoup d’associations, les conditions d’action se dégradent fortement, au point de menacer leur capacité à poursuivre leurs missions d’intérêt général. Le 11 octobre, les associations se mobilisent pour rappeler leur rôle déterminant dans la société. Cette mobilisation rejoint la campagne nationale lancée par Hexopée – “Espaces menacés” qui valorise nos centres de loisirs, nos maisons de quartier, nos clubs sportifs, nos associations culturelles, de formation et d’insertion, nos espaces jeunesse comme autant de lieux de vie, de lien social, d’émancipation et de solidarité, contributifs de l’épanouissement de millions d’enfants, de jeunes, de parents, de citoyens.
David Cluzeau, délégué général d’Hexopée et Vincent Séguéla, secrétaire général de la Fédération Léo Lagrange reviennent sur la nécessité de se mobiliser afin de faire entendre notre voix et de défendre le monde associatif et l’éducation populaire, piliers essentiels du pacte social.
Quelles sont les raisons qui ont amené Hexopée à lancer la campagne « Espaces menacés » cet été ?
David Cluzeau : Depuis 5 ans maintenant, nous observons par le biais d’un baromètre annuel la santé économique et social du secteur de l’éducation populaire. Nous en tirons aujourd’hui une certitude : la situation ne cesse de se dégrader malgré la capacité de résistance étonnante des associations. Il devenait donc impératif d’alerter sur l’urgence : l’éducation populaire est menacée par l’austérité budgétaire et un désengagement croissant des pouvoirs publics. Alors que les besoins sociaux explosent, les financements stagnent ou baissent en valeur réelle. Beaucoup d’associations sont contraintes de réduire leurs activités, voire de fermer. Avec la campagne « Espaces menacés », nous avons voulu frapper les esprits : montrer que ces lieux de vie et d’émancipation risquent de disparaître comme disparaissent des espèces en danger, si rien n’est fait. Elle invite à une mobilisation générale pour que ça tienne, pour créer les conditions de la pérennité des actions et des associations d’éducation populaire. Cette campagne s’appuie, en outre, sur une étude nationale que nous avons menée et qui rappelle leur poids économique (470 000 emplois, 1 % du PIB, 6 millions de bénévoles) et leur impact social unique, mais aussi leur fragilité structurelle.
En quoi l’éducation populaire, et plus largement le secteur associatif, sont aujourd’hui fragilisés voir menacés ?
David Cluzeau : Nos associations font face à une équation intenable : inflation non compensée, subventions en baisse réelle, coûts en hausse, et pressions administratives ou politiques croissantes. Par voie de conséquence, ce sont des trésoreries à sec, des emplois menacés, des structures qui envisagent le dépôt de bilan. L’éducation populaire, pilier du lien social et de la citoyenneté, devient, directement ou indirectement, une variable d’ajustement budgétaire. C’est un contresens absolu.
Vincent Séguéla : Au-delà des aspects financiers ou des complications administratives ou judiciaires évoquées (le contrat d’engagement républicain en est une nouvelle), il n’existe pas de réelle politique publique en matière d’éducation populaire et ce qui existe est mal coordonné : c’est ce que pointent les observateurs et la Cour des comptes. L’éducation populaire n’est certes pas simple à définir ni à délimiter dans un « périmètre ». Mais on peut aussi regretter que les associations d’éducation populaire soient de plus en plus perçues par les décideurs publics – élus comme administratifs-, soit comme des gestionnaires, soit comme des contestataires. Elles constituent pourtant des partenaires indispensables et complémentaires des autres acteurs éducatifs que sont les parents, les enseignants… En ce sens, le temps libre n’est pas pensé, structuré en termes de politique publique.
Sur un autre aspect, soulignons que la dernière réforme des retraites fait reculer l’entrée dans le bénévolat actif sans prolonger l’engagement pour autant. Or, sans bénévoles pour notamment administrer les associations, le tissu se dégrade. Le monde associatif a besoin de bénévoles d’autant que l’environnement des associations se complexifie. Mais rien n’est vraiment entrepris pour développer le bénévolat aux différents moments de la vie d’adulte des uns et des autres.
Selon vous, face à la pression sans précédent que connaissent actuellement les associations, quelles seraient les conséquences sociétales de cette fragilité à court et plus long terme ?
David Cluzeau : À court terme : moins d’accès pour tous aux pratiques éducatives, culturelles ou de loisirs, moins d’espaces collectifs, de centres sociaux, de MJC, de colonies de vacances, donc moins d’accueils pour les enfants, de pratiques artistiques, de sport et d’insertion pour les plus fragiles. Des emplois disparaissent, l’isolement grandit.
À long terme : c’est la cohésion républicaine qui est menacée. L’éducation populaire est l’école du vivre-ensemble ; si elle recule, ce sont l’abstention, la résignation et les extrémismes qui progressent. Ne pas investir aujourd’hui coûtera demain beaucoup plus cher à la société en inégalités, tensions et dépenses sociales.
Vincent Séguéla : Nous avons désormais sous les yeux de tous un cas d’école très illustratif : le secteur de la petite enfance. Jadis, les haltes garderies associatives avec parents et habitants impliqués pour leurs quartiers, les pédagogies éducatives, aujourd’hui des groupes privés lucratifs détenus par des fonds d’investissement (ou des « canailles » parfois) avec les résultats que l’on connait : « les ogres ». En 20 petites années, ces entreprises ont capté l’essentiel des moyens publics et détiennent désormais la moitié de l’offre éducative du jeune enfant.
Les associations, dont celles de l’éducation populaire qui représentent plus du 1/3 des associations en France, constituent effectivement un pilier de notre République. La loi 1901 qui fonde le droit de s’associer est une pierre angulaire de nos libertés. Ne pas les soutenir, ou les laisser se débrouiller avec un espace sans cesse plus contraint et réduit, représente une menace terrible pour le fonctionnement de notre démocratie.
Economiquement, car il faut aussi en parler sous cet angle, c’est aussi un contresens : les associations sont économes, ne délocalisent pas, sont non lucratives donc dédiées à des actions et activités d’intérêt général et contribuent à la vitalité économique des territoires. Qui irait vivre dans un village ou une ville sans offre associative ? Quelle entreprise s’installerait dans un territoire sans offre associative de qualité et variés pour ses salariés et leurs familles ?
Quelles solutions prônez-vous pour enrayer la dégradation de la situation et quelles sont vos attentes notamment vis-à-vis des pouvoirs publics ?
David Cluzeau : Il faut un sursaut immédiat. Nous demandons :
- d’arrêter de traiter l’éducation populaire à la marge mais de la considérer comme un pilier essentiel du pacte social ;
- l’ouverture d’une conférence nationale des financeurs pour bâtir un financement pérenne et partagé ;
- des engagements pluriannuels transparents et volontaristes, qui sécurisent l’action des associations ;
- la reconnaissance d’un véritable service public de la complémentarité éducative, aux côtés de l’École.
En définitive, il est temps que l’État assume ses responsabilités et permettent aux collectivités de garantir leurs engagements. Sauver et renforcer l’éducation populaire, c’est participer de l’unité de la République et préparer l’avenir.
Vincent Séguéla : En effet, il faudrait commencer par retrouver un état « stratège » qui définisse en coopération avec le monde associatif une grande politique publique. Les ministres ou secrétaires d’Etat se succèdent mais il n’y a pas grand-chose qui se dessine, on « gère » les affaires courantes depuis bien longtemps à présent en la matière.
Je pense que les collectivités locales ne doivent pas être en reste et se borner à la question des moyens octroyés par l’Etat. C’est bien entendu un sujet central mais quand une collectivité municipalise une maison de quartier ou confie une crèche à une entreprise lucrative, elle ne sert pas la vie associative et tout ce que cela peut apporter de positif.
Les associations via leurs syndicats, unions, coordinations, ont des propositions à formuler sur tous les aspects : administratifs, légaux, financiers, démocratie locale, société civile… Elles ont cette raison d’être : proposer sans cesse des solutions renouvelées, adaptées au service de la cohésion sociale, la solidarité, la fraternité, les libertés, le sport pour tous, la culture, le développement local… à tous les âges de la vie car nous croyons à l’éducation tout au long de la vie, à la citoyenneté active.
Pourquoi est-il important qu’une association d’éducation populaire comme la Fédération Léo Lagrange participe aussi bien au relais de la campagne « Espaces menacés » qu’à la mobilisation du 11 octobre prochain ?
Vincent Séguéla : Le monde associatif en général, et de l’éducation populaire en particulier, est riche de sa diversité. Mais cette richesse rend nos secteurs peu lisibles ou difficiles à cerner. C’est ce qui a amené nos grandes fédérations à créer des espaces de coopération tels que Hexopée, le Cnajep, etc.
Cette mobilisation en cours est donc le fruit d’un processus fort d’union et de coopération pour nous permettre d’être plus audibles, mieux connus et donc mieux considérés. Il est donc naturel et évident pour la Fédération Léo Lagrange d’y participer activement.
Si nous souhaitons peser dans les politiques publiques, il faut se regrouper, coopérer et nous donner les moyens ensemble de proposer des axes aux décideurs publics.
En savoir plus :
sur la campagne nationale « Espaces menacés » et télécharger l’étude d’impact sur l’Education populaire en France : https://www.hexopee.org/publication/2327
sur la mobilisation des associations le 11 octobre : https://lemouvementassociatif.org/ca-ne-tient-plus-appel-a-une-mobilisation-des-associations-le-11-octobre/